Saint-Chamas : le port du Pertuis
Patrick MÉRY-COSTA - Saint-Chamas - Octobre 2002
Les photos et gravures ont été extraites
Le document original



 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Aussi loin que l’on remonte dans l’Histoire, un fait est capital dans le domaine des transports c’est la primauté de la voie maritime et fluviale. Le transport par route est très long, incommode, onéreux et très souvent peu sûr. Le mulet est le moyen de transport utilisé le plus souvent (le cheval de trait ne fait son apparition qu’à la fin du Moyen Age). Il ne peut porter des marchandises trop lourdes ou trop encombrantes. Seules les denrées de luxe sont rentables.

Le transport par eau, au contraire, permet le commerce de matériaux lourds et encombrants pour un prix dérisoire. Les carrières de Calissanne ont été exploitées pour cette raison.

Avec l’apparition des colons grecs au VII0 siècle avant J.C. et la fondation de Marseille au V10 siècle, l’étang de Berre est devenu une voie commerciale de premier plan.

A partir du V10 siècle avant J.C., le commerce maritime ne cesse de s’amplifier et il connaîtra son apogée à la conquête romaine. Un port est alors édifié dans l’anse comprise entre l’Arc et la Durançole - important puisque comportant 750 mètres de quai. Ce port, et l’agglomération qui en dépendait, ont maintenant disparu, mais on peut encore en voir des restes engloutis par calme plat. La côte de l’étang a en effet reculé de plus de 200 m et le lit de l’Arc a changé plusieurs fois de cours. La ville et le port romains n’ont pas été détruits par un cataclysme, comme

On l’a longtemps cru, mais tout simplement engloutis dans l’étang au fur et à mesure que la côte reculait.

Le " Saint-Chamas " gallo-romain se situait donc à la limite des communes actuelles de Berre et Saint-Chamas. C’est à l’époque mérovingienne (fin du Vil0 siècle de notre ère) que Saint-Chamas est fondé sur la colline du Baou.

Le rôle de Saint-Chamas, avant-port de Salon, puis d’Arles, puis d’Avignon s’affirme. La liaison Saint-Chamas - Salon - Arles, puis Avignon, est fonction d’un élément particulier le Rhône. Ce fleuve, surtout depuis l’installation des Romains en Gaule, est une voie de communication très importante. Arles a longtemps été un grand port fluvial. Malheureusement, le lit du Rhône est sujet d’une part à l’ensablement qui interrompt la navigation, d’autre part aux méfaits du mistral qui empêche le franchissement de la barre. Par contrecoup, la liaison Saint-Chamas - Arles - Avignon connaît une faveur nouvelle, et Saint-Chamas, port naturel de Salon et de son arrière-pays, devient au cours des siècles port d’Arles et d’Avignon.

A la fin du Moyen-Age, le commerce international connaît une grande prospérité dans deux parties de l’Europe occidentale le Nord et quelques grands centres italiens. Quand la Papauté s’installe en Avignon, Saint-Chamas participe au commerce international, la localité ayant été choisie par les représentants des grandes banques internationales, surtout italiennes, de préférence à Marseille. La liaison Bouc -Saint-Chamas - Avignon est régulièrement assurée, les galéasses de Venise et de Florence préférant utiliser l’escale de Bouc (qui deviendra plus tard le port de Bouc, puis Port-de-Bouc). Le transit se fait par barques de Bouc à Saint-Chamas, puis par mulets de Saint-Chamas en Avignon. Ce sont surtout des commerçants italiens et allemands qui ont créé et exploité cette ligne et ils ont leurs courtiers installés à Bouc et Saint-Chamas. Même le commerce des esclaves est présent à Saint-Chamas. Au XV0 siècle, deux sources d’approvisionnement existent: l’une de Barbarie, intéressant surtout les noirs, hommes en majorité; l’autre du Levant concernant surtout les femmes slaves ou grecques.

Saint-Chamas est donc à la fois un centre commercial et industriel important, relativement au reste du monde qui l’environne. On peut l’imaginer perché sur la colline du Baou, entouré de remparts. De nombreux escaliers en favorisent l’accès côté Est. Il n’y a pas de port, les bateaux sont sur la grève ou à l’ancre, à quelques mètres de la côte. Quelques hangars sont probablement bâtis près de la plage commerciale.

Les barques qui font le trafic Bouc – Saint-Chamas ont un mât et portent une charge de 2 à 4 tonnes. La plupart des marchandises débarquées ne font que transiter.

Au XVIII0 siècle, tout le pays salonnais ouvre naturellement sur la mer par Saint-Chamas et l’activité commerciale est intense, même si les grosses unités restent exceptionnelles; le cabotage particulièrement intense représente un tonnage non négligeable. Mais le fond de l’étang s’envase à cause du canal des moulins (dit de la Poudrerie) dont les alluvions provoquent un comblement progressif

La construction d’un nouveau port est le seul moyen de sauver la voie commerciale maritime qui aboutit à Saint-Chamas, décision prise par la municipalité le 23 août 1772 : le port sera situé "à l’ouest de Saint-Chamas, sur la même ligne de la petite place visant à la plage du bord de l’Etang". Le choix de cet emplacement va gravement hypothéquer le développement économique du port car cette partie de l’Étang se comble petit à petit.

L’accès aux quais ne peut pas se faire par le Nord, à cause de la Poudrerie, ni par le Sud (marais) ; il ne peut s’effectuer que par l’Est, en passant sous la colline du Baou par le passage de la Goule - tout au moins jusqu’à son éboulement en 1863.

Les travaux ne commencent que le 9 mars 1775 (à cause de la mort de Louis XV en 1774) .... et ne se termineront jamais. Pourquoi?

Le montant des travaux est important, la commune de Saint-Chamas ne peut faire face seule à une telle dépense. Aussi, en plus de Saint-Chamas qui apportera 3750 livres, d’autres communes appelées à utiliser ce nouveau port pour le commerce de leur huile et de leurs olives essentiellement, co-financent une partie des travaux; ce sont Salon (800 livres), Eyguières (700 livres), Grans (500 livres), Lançon (400 livres), Pélissanne (600 livres), Les Baux (400 livres), Miramas (200 livres) et Cornillon (150 livres). La communauté de Provence fournira les 7729 livres qui manquent.
 
 

En 1774, le quartier du Pertuis ne possède qu’une rue : l’actuelle rue de la Fraternité. Toutes les venelles adjacentes n’existent pas encore. Quelques-unes toutefois sont amorcées et comportent tout au plus quatre ou cinq maisons. L’eau de l’étang arrive à une douzaine de mètres en hiver (vingt en été) des maisons des pêcheurs situées à l’ouest de la place actuelle du Port. La place de la Sente n’existe pas. La rade, qui deviendra le port, est un large plat de cent mètres de large, orienté perpendiculairement aux habitations et limité au nord et au sud par des levées de terre et de pierres. On plus ou moins vaseux suivant les saisons. côté pour le nouveau port.

On accède à ces " quais " par un terre-plein plus ou moins vaseux suivant les saisons. Il n’est d’ailleurs pas prévu de quai de ce coté pour le nouveau port.

Les travaux commencent le 9 mars 1775 et aboutissent à la construction du quai Est, le plus facile à construire, ainsi que des deux môles. A noter que ceux-ci comportaient des parapets qui furent finalement enlevés, car gênant trop les amarrages des bateaux. En 1777 ont lieu les travaux les plus importants bassin, les autres quais. Dès 1778, il est constaté que la canal des moulins apporte énormément de vase qui envasent le bassin du port - phénomène accentué par la présence des deux môles. Les travaux prévus sont terminés fin août 1778, mais il est demandé aux états de Provence de décider le prolonger de 25 toises (48 mètres) le môle nord et de 10 toises (20 mètres) le môle sud pour essayer de lutter contre le phénomène d’envasement.

Le 26 juillet 1779, les états de Provence acceptent de financer la suite des travaux, estimés à 18 000 livres, mais à hauteur de 6000 livres seulement, Saint-Chamas et les autres communes devant fournir le reste : Saint-Chamas 9000 livres, Eyguières 1680 livres, Salon 1920 livres, Grans 1200 livres, Lançon 960 livres, Pélissanne 1440 livres, Les Baux 960 livres, Miramas 480 livres et Cornillon 360 livres. La réaction des autres communes est immédiate : entre août et octobre 1779, elles se retirent, arguant que ce port ne leur est finalement d’aucune utilité ou de l’état déplorable des routes d’accès. Saint-Chamas, ne pouvant financer sa propre contribution, demande aux Etats du pays le report de la suite des travaux à six ans. Les travaux ont-ils alors été poursuivis ? Aucun document ne permet de l’affirmer. Un fait demeure : le port, tout imparfait qu’il est, existe.
 
 

La Révolution vide le village de ses forces vives : en 1793, 300 soldats et 150 marins de Port Chamas (nouveau nom de Saint-Chamas) servent la République, les charpentiers et calfats sont partis, l’administration révolutionnaire n’entretient plus le port, la vase et les immondices le comblent petit à petit et il est devenu une " mare pestilentielle ". Seule la pêche côtière connaît une certaine prospérité. La pénurie de blé fait prospérer la pêche des moules dans l’Etang. Elle devient si intensive que des ordonnances de police sont prises pour réglementer, en vain d’ailleurs, l’enfouissement des déchets.

Le 26 février 1793, H. Abeille, capitaine navigant, escorté des pêcheurs de Saint-Chamas, propose au Conseil général de la commune de faire nettoyer à ses frais le port ou aucun bateau ne peut plus accoster. En échange, il aura le droit de percevoir, à perpétuité, des droits sur chaque bateau portant mât qui abordera le port, la rade ou le golfe de Saint-Chamas. Les pêcheurs demandent pour lui la capitainerie. Le 27 février, la commune accepte son offre. Abeille devra creuser le port pour qu’on puisse aborder aux deux môles et au quai de la Palissade, ranger la digue, entretenir le chenal et jeter la vase aux endroits peu utilisés de l’étang. On lui fait un bail de 29 ans maximum.

A son décès ou au bout des 29 ans, le port sera à nouveau municipal. Abeille est nommé capitaine du port sans émoluments. Les troubles fédéralistes empêcheront la mise à exécution de ce projet, Abeille étant alors pourchassé comme émigré.

Saint-Chamas, qui a perdu un tiers de ses habitants, ne compte plus que 2000 âmes en 1804. Le trafic portuaire est limité au cabotage Saint-Chamas - Marseille - Nice pour le transport des fourrages. Saint-Chamas, centre de stockage et d’expédition des fourrages et de la paille destinés à l’armée d’Italie, et siège de la Poudrerie, voit son port remis en état sous la direction de l’ingénieur en chef du département Carrier. En effet, l’apport des vases et limon est si important que les bateaux de commerce ne peuvent plus pénétrer dans un port achevé depuis à peine plus de 20 ans.

Napoléon 1er, dans son rêve de faire de l’Etang un grand port de commerce et de guerre, va le faire draguer et faire exécuter quelques travaux: allongement des digues, réfection des quais. Mais on rejette dans l’étang, à peine à 300 m du rivage, les boues enlevées !... De plus, à cause de l’envasement, les quais ne sont plus assez hauts et les inondations fréquentes. Il faut donc les surélever.
 
 

A partir du milieu du XIX0 siècle, le port devient de jour en jour de plus en plus important par l’étendue que prend dans la localité le commerce des grains, des farines, des bois de construction, des planches et des charbons, ainsi que par l’extension considérable de la poudrerie. Le port est dragué à nouveau en 1817, 1818 et 1823.

En 1825, le comte de Ville-neuve veut faire nettoyer et agrandir le canal Martigues - Bouc (canal de Caronte). Le conseil de Saint-Chamas, qui se voit imposer de 2760 francs, refuse de payer. Il ne désire pas que les gros bateaux reviennent dans son port, pourtant bien entretenu, arguant que " les petites embarcations exigent un plus grand nombre de marins dont l’Etat bénéficie pour sa flotte ".

En 1834, une pétition est présentée à capitaines marins et autres commerçants pour obtenir le prolongement des môles qui forment l’entrée du port, dans le but d’assurer la profondeur d’eau nécessaire pour l’entrée et la sortie des navires qui éprouvent actuellement beaucoup de difficultés. En l’état actuel, le chenal du port est presque toujours encombré de vases par les vents de nord-ouest qui règnent habituellement ; le seul moyen pour empêcher cet encombrement serait de prolonger les môles nord et sud jusqu’à la profondeur dans l’étang de sept à huit pieds d’eau.

Le port est entièrement remis en état entre 1840 et 1842, sous le règne de LouisPhilippe : les quais verticaux qui s’écroulaient sont rebâtis et le quai nord est enfin construit; le port a donc la physionomie que nous lui connaissons aujourd’hui. Le trafic reprend sur l’Étang, grâce à l’aménagement du port de Bouc. Pour la première fois, le port est réservé exclusivement aux bâtiments de commerce, des quais et des digues étant construits dans l’anse de la Sente pour les bateaux de pêche. Mais l’étang arrive encore au pied de la chapelle Saint-Pierre, la place de la Sente n’existe toujours pas et un grand marais s’étend au bout de la rue du 4-Septembre. Il faudra attendre après le 18 décembre 1863 pour que cette partie soit comblée et asséchée avec les remblais de l’effondrement de la Goule. I

Sous Napoléon III, le port est refait et agrandi : les quais sont portés à 60 m de long sur 40 m de large, et la profondeur à 2,75 m. Mais, bâtis sur un terrain non consolidé, les quais s’enfoncent peu à peu. L’entretien de ses abords étant devenu trop onéreux, la municipalité cède gratuitement à l’Administration Maritime une bande de terrain de 20 mètres autour du port et de 10 mètres le long du chenal, à charge pour celle-ci de l’entretenir.

Malheureusement pour le port commercial remis à neuf, deux événements vont compromettre son avenir:

la construction de la voie ferrée à partir de 1841. A ce sujet, il est intéressant de prendre connaissance de la délibération du conseil municipal, appelé à donner son avis sur une enquête pour la rectification de la grande ligne de chemin de fer de Lyon à Marseille, le 17 octobre 1841 : "[...] Notre port de commerce pourra devenir un entrepôt très important pour toutes les marchandises qui se dirigent du côté de Lyon, comme pour celles qui en descendront pour se diriger sur Marseille et ailleurs. Il...] Nous devons donc appuyer de toutes nos forces ce plan qui est le seul praticable ".

l’accroissement du tonnage des navires qui ne rentrent plus dans l’étang de Berre et encore moins dans le port de Saint-Chamas qui continue à s’envaser inexorablement.

Petit à petit, le trafic ferroviaire supplante le trafic maritime et la pêche reste la seule activité permanente du port. Les ressources de la pêche intéressent 20 patrons pêcheurs et 9 matelots en 1913. La période faste de cette activité s’achève vers 1930, après le terrible hiver de 1929, avec un sursaut pendant la période 1939-44, à cause des restrictions.

La plaisance apparaît sur l’Étang à partir des années 1920 - de nombreuses plages sont régulièrement fréquentées, même à Saint-Chamas au lieu-dit " La Digue " - et se développe à partir des années 1950.
 
 

Patrick MÉRY-COSTA - Saint-Chamas - Octobre 2002
 
 
Sources:

Le golfe de Saint-Chamas de 1600 à 1985 - Paul LAFRAN et Elise CARDOU

La grande misère de Saint-chamas le Riche aux XVII0 et XVIII0 siècles - Paul LAFRAN

Saint-chamas des origines à 1851 - Paul LAFRAN,et Gustave PLANTIER

Saint-Chamas - Pages d’histoire (1712-1914) - PauI LAFRAN

Bulletin n0 8 des Amis du Vieux Saint-chamas : Notre mer: le golfe de Saint-chamas des origines

à 1600 - PauI LAFRAN

Saint-Chamas en Provence - Histoire de nos rues et nos quartiers

Remerciements au personnel de la bibliothèque municipale de Saint-chamas qui a aimablement mis ces ouvrages à ma disposition.

Source : Saint-Chamas en Provence - Histoire de nos rues et nos quartiers